jeudi 31 mai 2007

Le desespoir d'une combattante pour la paix

Voici une lettre de Cindy Sheehan. La mère de soldat symbole de la lutte contre la guerre en Irak explique dans son blog pourquoi elle a décidé d'arrêter le combat. Un geste fort qui intervient quatre jours après le vote par le Congrès américain de la loi sur le financement de la guerre. Extraits de son texte.

"J'ai été beaucoup dénigrée et haïe depuis que mon fils Casey a été tué [le 4 avril 2004 en Irak], surtout depuis que je suis devenue le "visage" du mouvement antiguerre américain. Et surtout depuis que j'ai coupé les ponts avec le Parti démocrate. "Racoleuse" et "bon débarras" sont parmi les choses les moins violentes que j'ai entendues.
En ce matin du Memorial Day [jour du souvenir célébré aux Etats-Unis ce lundi 28 mai], j'en suis arrivée à de douloureuses conclusions. Tout d'abord, j'ai compris que j'étais la coqueluche de la gauche tant que je me bornais à m'en prendre à George Bush et au Parti républicain. Quand j'ai commencé à en faire autant avec le Parti démocrate, ce dernier s'est mis à moins me soutenir et à m'affubler des mêmes qualificatifs que la droite. Je suis considérée comme une radicale parce que je crois qu'il faut renoncer à la politique partisane quand des centaines de milliers de gens meurent pour une guerre reposant sur des mensonges cautionnés aussi bien par les démocrates que par les républicains.
Je suis aussi arrrivée à la conclusion que j'avais investi tout ce que j'avais pour tenter d'apporter la paix et la justice à un pays qui ne veut ni de l'une ni de l'autre. Mais la conclusion la plus terrible que je tire de tout cela, c'est que Casey est vraiment mort pour rien. J'ai essayé sans relâche, depuis le jour de sa mort, de donner un sens à son sacrifice. Mais Casey est mort pour un pays qui se soucie davantage de savoir qui sera la prochaine "nouvelle star" que de savoir combien de personnes seront tuées dans les prochains mois, pendant que démocrates et républicains jouent à la politique avec des vies humaines.
Il est extrêmement douloureux pour moi de savoir que je me suis laissé avoir par le système pendant tant d'années et que Casey a payé le prix de cette allégeance. J'ai trahi mon fils, et c'est ce qui me fait le plus souffrir.
Nos courageux jeunes gens et jeunes filles ont été abandonnés en Irak par leurs dirigeants lâches, qui les déplacent comme des pions sur un échiquier de la destruction, et le peuple irakien a été condamné à la mort et à un sort pire encore par des gens qui se préoccupent davantage des élections que des êtres humains.
Je vais prendre tout ce qu'il me reste et rentrer chez moi. Je vais jouer mon rôle de mère auprès des enfants qu'il me reste et tenter de retrouver un peu de ce que j'ai perdu. Camp Casey [le campement installé sur un terrain acheté par Cindy Sheehan en bordure du ranch de Crawford appartenant à Bush] a rempli sa mission. La propriété est à vendre. Y a-t-il un acquéreur pour trois beaux hectares situés dans les environs de Crawford, au Texas ? Je suis prête à étudier toutes les offres raisonnables. J'ai entendu dire que George W. Bush allait bientôt déménager lui aussi, ce qui confère encore plus de valeur à la propriété.
Ceci est ma lettre de démission en tant que "visage" du mouvement antiguerre américain. Mais la partie n'est pas terminée, car je ne renoncerai jamais à tenter de venir en aide aux gens qui souffrent à cause de l'empire de ces bons vieux Etats-Unis d'Amérique. Adieu, Amérique. Tu n'es pas le pays que j'aime et j'ai fini par comprendre que j'aurai beau me sacrifier je ne pourrai pas faire de toi ce pays-là si tu ne le veux pas. A vous de jouer maintenant."

samedi 26 mai 2007

45 degres a l'ombre

Nous n'avons meme pas entame le brulant mois de Juin, un pleonasme, que la chaleur nous frappe deja de plein fouet. Je n'ai pas dormi de la nuit. Imaginez une petite piece, un sol chaud et pas de ventilateur, ni de climatisation. L'enfer. Pas une minute de sommeil. Juste des soubresaults parfois comique a relents de Louis de Funes. Resultat : des cernes, une humeur grincheuse et une seule idee en tete, acheter un ventilateur.
Je me suis pas mal balade ces derniers temps au detriment de mon blog qui prend un peu de poussieres. Je vais essayer de me rattraper cette semaine.
Hannibal lecter. Pardon, a mes bons lecteurs.

jeudi 10 mai 2007

L'attentat à l'eau de Javel

L'explosion m'a réveillé. J'émerge d'un sommeil trop léger à cause de la chaleur dans un "Qu'est ce que c'est?" avec des crottes dans les yeux. Dix minutes s'écoulent à peine et mon téléphone sonne. C'est mon père :
- Feurat? Ca va? Tout va bien?
- Euh oui oui!
- Ok mon fils. On avait peur ta mère et moi.
Le ministère de l'intérieur apparemment. Un camion piégé. Pas le temps de déjeuner (quel monde), je prend un taxi et fonce vers le ministère de l'intérieur. Le chauffeur me regarde interloqué lorsque je lui annonce ma destination.
- Mais la rue est bloquée!
- Pas grave, je continuerais à pied. N'aies pas peur...
- Je n'ai pas peur. Nous sommes nés dans ces attentats. (Pas très français mais c'est comme ça qu'ils le disent)
- Ok moi aussi je suis né dans ces attentats. A l'école primaire, j'ai échappé de peu à des bombes à eau. Alors moi non plus je n'ai pas peur.
A l'entrée, un très jeune soldat tout excité me crie un STOP!!!!! A vous trouer les tympans. Je négocie.
- Je veux juste voir. En plus, j'ai rendez-vous avec Mr Ahmed. (Il y a toujours un Mr Ahmed au sein de l'armée)
- Tu as pris rendez-vous?
- Euh oui bien-sûr!
Il me fouille. C'est parti. Un autre barrage. Aaaaaaaaaaaaaaaah! me lance un autre soldat.
- Mr Ahmed, Mr Ahmed! lance-je
Il me fouille. Je continue ma route.
Un troisième barrage. Cette fois-ci plus frais. Un soldat recharge sa Kalachnikov et donne des ordres.
- I wanna see Mr Ah....
- You wanna see the truck ? Ok, come on
- ...
Enfin. J'y suis. En plein milieu. Un énorme cratère. Et plein de bouteilles d'eau de Javel. Je demande au soldat si ces bouteilles étaient dans le camion piégé. Est-ce sérieux? Un attentat à l'eau de Javel? Oui apparemment. Souvent c'est du chlore. Ils ont fait avec les moyens du bord. Il me montre des blessures qu'il met en relation avec l'eau de Javel. On dirait plutôt une griffure de chat. Tu veux m'impressionner ou quoi? Je remarque quand même des gouttes de sang sur son maillot.
- C'est quoi ça?
- C'est le sang des victimes. J'ai porté des cadavres. Là, c'était une femme dans un taxi. Elle est morte avec le chauffeur.
Les dégâts sont impressionnants. Et comme toujours, la vie reprend tres vite son cours. Une heure après l'attentat, les seuls temoins du massacre sont les fenetres explosees des batiments.

mardi 8 mai 2007

Telegramme nostalgique

...Rupture...Stop...Fin du gaullisme...Stop...Introduction a l'altlantisme...Stop...Parti Social-democrate?..Stop...Changement ou poudre aux yeux...Stop...Echec et Malte...

samedi 5 mai 2007

Sheraton, Dokhan et le restaurant allemand

C'était la semaine du journal Al-Mada. Un quotidien bagdadi à tendance marxiste. Plus de 200 personnes, "intellectuels", "écrivains", même "romanciers" se bousculent pour assister au concert privé de Yas Khadher. Pour ceux qui ne connaissent pas, il est un très grand chanteur et poète irakien. J'ai aussi rencontré deux journalistes de passage à Erbil. Très sympathiques. Valérie Nivelon de RFI et Pierre Prier du Figaro. Après quelques discussions sur l'Irak, nous n'avons pas pu nous empêcher d'évoquer les élections présidentielles françaises et le débat Ségo contre Sarko. "Ennuyeux" est le premier mot évoqué...
Le lendemain, nous avons dîné dans un restaurant allemand (oui même en Irak). Le sociologue Hosham Dawood était assis à notre table. "Qu'est ce qu'un Ani fait à Eikawa?" m'a-t-il lancé ironiquement. "Vous savez ici, ce n'est qu'une escale de plus" ai-je répondu. Le propriétaire du restaurant, un type sympa passionné de formule 1 (et notamment de Michael Schumacher) m'a expliqué son goût pour les endroits insolites. Il a ouvert son premier restaurant à Kaboul et il projette d'en ouvrir un autre en Afrique. Il hésite entre Mogadiscio et Khartoum...
Avec Guillaume, un ami, et humanitaire ici à Erbil, nous nous sommes balladés près de Dokhan, non loin de la frontière iranienne. Un paysage qui n'a rien à envier à la Lausanne. Un lac. Des montagnes. De la verdure. Et de belles couleurs. Ce jour-là, il ne manquait que le soleil et les Jet-ski.
La chaleur avoisine déjà les 40 degrés. Je vais devoir m'acheter une petite climatisation pour rafraîchir le bureau. Bientôt, on approchera les 50 ...

mercredi 2 mai 2007

Bonjour Irak

J'ai quitté la Syrie. Pour retrouver l'Irak d'aujourd'hui. Trois heures de retard semble une banalité à côté de ce que j'ai vécu dans l'avion épave de la compagnie irakienne Iraqi Airways. Il doit avoir au moins 20 ans. Je fixais sans arrêt les ailes de peur qu'elles nous lâchent. Des hauts le coeur et mon voisin, un novice peu habitué aux secousses, poussait des "Ya allah" à chaque tremblements. Bref, une heure et demi passé dans les airs, soit moins de temps perdu qu'à l'aéroport de Damas où j'ai attendu quatre heures. Mes amis Mohamed et Ako sont venus me chercher à l'aéroport d'Erbil dans le kurdistan irakien. Ma "base de recul". Je m’avance donc vers le centre-ville, et je retrouve mes locaux remplis de poussière. A 23h32, j'ai nettoyé les deux pièces et la salle de bain de fond en comble à coups de balai et d'eau mélangée à de la lessive. Rien de tel pour effacer le stress d'une journée bien longue. Résultat, je n'arrive pas à dormir et me voici en train d'écrire à deux heures et demi du matin. Et puis il y a cette odeur. Un subtil mélange de cendres et d'eau de fleurs.
Je redécouvre aussi les joies des coupures de courant (mais quel courant? Il n'y en a même plus) et des connexions Internet très très bas débit. J'ai un petit générateur électrique que je fais fonctionner trois à cinq heures par jour pour travailler sur mon ordinateur portable. Oui, je crois bien qu’une nouvelle aventure commence.

J-1

Dernier jour en Syrie avant de rejoindre l'Irak. Mon ami bagdadi Mohamed ne rêve que d'une chose : fuir la Syrie. Il a entendu parler de la Malaisie et s'est donc fixé ce but comme nouvel espoir. Peut-être trouvera-t-il un boulot là-bas. Pour lui, les journées syriennes se ressemblent. Il ne se lèvent pas avant midi et ne dort pas avant l'aube. Ses copains, qui ont eux aussi fui la violence, ont loué un appartement piteux mais confortable. Ils passent le temps entre films et parties de Playstation. Entre sieste et cybercafé. Rien de tel pour prendre du poids.

Nous nous promenons dans le quartier Jeramana. C'est vrai qu'on s'y croirait à Bagdad. Les restaurants irakiens poussent comme des champignons. L'accueil y est très courtois, très généreux. Comme en Irak. Dans la rue, le dialecte de Bagdad titille mes tympans. Il suffit alors de fermer les yeux pour s'imaginer dans les faubourgs d'Al-Mansour...

Près de la mosquée Omeyyade, j'aperçois un escalier mécanique. Machine toute nouvelle ici. Les syriens n'ont pas l'habitude. Les irakiens non plus d'ailleurs. Les gens y accourent avec curiosité. Les dames ont peur et manquent de tomber à la renverse. C'est fou comme les conditions changent d'un pays à l'autre. Plongé dans mes réflexions, je fais comme à Paris et continue de monter les marches de l'escalier mécanique sur le côté gauche, attirant ainsi tous les regards. J'avais osé défier la machine ! Les réflexes aussi changent d'un pays à l'autre.
Lorsque vous parlez avec un syrien, il peut réagir de deux manières. Soit il vous renie, soit il vous chérit. J'en ai fait l'expérience en prenant des taxis. Ce matin, je suis monté dans une petite voiture jaune en passe de mourir. Et mourir, j'y ai echappe trois fois. Le chauffard…pardon, le chauffeur avait un probleme de coordination. A chaque incident, il criait "America!" La roue devait avoir un problème car nous roulions en zigzag. De telle sorte que mon épaule gauche et ma tête partaient vers la droite toutes les secondes. Une danse comique. Le chauffeur n'arrêtait pas de prendre des petites ruelles pour perdre du temps. J'avais bien compris sa démarche. "Arrêtez vous s'il vous plaît". Et de claquer la porte, un peu sonné. En fin d'après-midi, nous avons pris un autre taxi. Beaucoup plus accueillant. Alors que Mohamed et moi discutions, je remarque que le chauffeur nous écoutait attentivement. Lorsque j'ai voulu payer, il a refusé. "Vous êtes irakiens, donc je ne prend rien de vous. Je suis solidaire de votre pays et c'est pourquoi je jure par Dieu que je ne prendrais pas d'argent de vous mes frères". La solidarité dans le monde arabe existe-t-elle encore?