mercredi 7 septembre 2011

France Culture : l'après 11 septembre en Irak

Comment l'impossible est devenu une banalité...

En "Orient", oser contester les dires d'un dictateur était aussi insensé que de déraciner un arbre avec une cuillère à soupe. Les dictateurs sont des arbres enracinés depuis des décennies. Du moins, ils l'étaient. Aujourd'hui, l'impossible a un second sens. Il va même jusqu'à rendre banals les évènements en cours dans le "monde arabe". Impensables il y a encore moins d'un an, les Arabes se soulèvent contre les dictatures...plus que les dictateurs.
C'est tout un système qui est aujourd'hui contesté. Il suffisait de se rendre en Algérie, en Egypte ou en Irak pour constater l'injustice et la corruption de la société. La flatterie servile de certains citoyens. La vie quotidienne compromise par les bassesses du régime.

Un jour, après un reportage à Damas en Syrie, je faisais une pause chez des amis irakiens. Un des "gars du pays" était bien implanté au pays de Sham. Il s'appelle Ahmed. Il était tellement bien intégré qu'il avait totalement assimilé le système de corruption local. Nous étions assis dans le bureau de son agence immobilière proposant une liste non exhaustive d'appartements infestés de puces. J'en avais été la victime...
Nous étions quatre, affalés sur un canapé en cuir bien plus vieux que moi quand un jeune homme entra. Pas un mot, pas un bonjour, rien. Autour de moi, tout le monde s'était levé mais dans une précipitation trop excessive pour être naturelle, comme si le président Bachar Al-Assad entrait dans la pièce. Ce n'était pourtant qu'un jeune homme. Qu'avait-il de si impressionnant ?
La peur se lisait sur les visages des gars du pays. Je me levais donc après avoir croisé leurs regards très insistants.
Le jeune homme en question avait un pistolet Glock à la ceinture. Il était hautain. Ses lèvres restaient immobiles quand il s'exprimait. Il ne ressentait pas le besoin d'articuler comme si nous ne méritions pas autant d'effort. Le genre de type à ne pas accepter la moindre tape sur l'épaule.
J'avais compris cinq minutes plus tard qu'il venait chercher son pot de vin auprès d'Ahmed, le "directeur" de l'agence. Ce qui était frappant, c'est qu'il ne s'en cachait pas. Le jeune homme avait garé sa vieille Mercedes devant l'immeuble et faisait le tour du quartier, passait de boutique en boutique. Nous étions sur son terrain. Où était l'Etat ? Les institutions ? Le Droit ? Ce jeune type empochait des milliers de dollars par mois. Et c'était normal. C'était le système. Un flingue, un petit grade et un peu de malhonnêteté. Probablement aucune ambition politique au sein du parti Baas mais un confort de taille.
A l'époque, (il y a 4 ans), il était impossible de broncher face à cette banalité.
Aujourd'hui, quand je vois ces milliers de gens arpenter les rues, prêts à mourir, je ne peux pas m'empêcher de penser à ce jeune homme corrompu. Je l'imagine tirer sur la foule avec son Glock autrichien.

Après la Tunisie et l'Egypte, (mettons la Libye de côté pour l'instant) le peuple syrien essaie à son tour de prendre la Bastille. Même s'il échouait, au moins aura-t-il donné à l'occident une belle leçon de révolution.