jeudi 2 décembre 2010

Bagdad 1989. Une année paisible.


C'était en 1989. Huit ans de guerre contre l'Iran venaient de s'achever. Au pays, presque tout le monde s'en était tirés. Quelques blessés du côté de mes oncles paternels. Mais plus d'un million de morts pour rien en Irak ainsi qu'en Iran. Ni vainqueur ni vaincu. Seule la haine de l'autre avait triomphé. 
Quand la nouvelle nous est arrivée par téléphone de Bagdad, sitôt le combiné raccroché, ma mère m'a lancé : « tu vas enfin voir ta famille ».
J'ai poussé la porte du salon et trouvé mon père debout en face du téléviseur. L'information fait la une des journaux télévisés. Le cessez-le-feu est officiel. Et je n'ai pas encore neuf ans. Quelques semaines plus tard, nous partirons pour l'Irak alors que ma petite sœur et moi étions en pleine période scolaire. Il y avait urgence. Qui sait ? Une nouvelle guerre pouvait facilement éclater du jour en lendemain.
Comme si c'était hier, je me revois assis dans l'avion de la compagnie aérienne nationale : Iraq Airways. J'aurai le droit de visiter la cabine de pilotage car le pilote est mon oncle. En regardant à travers la vitre, je balaie dans ma tête tous les clichés que l'on connaît du pays des mille et une nuits. Les dunes dorées, les chameaux, Ali Baba et les quarante voleurs... Et cette grande famille que je ne connais pas. 

Plus de quatre vingt personnes nous attendent à l'aéroport international de Saddam Hussein. Ils se battent pour nous embrasser. Là, dans ce brouhaha oriental, je l'ai aperçu. Nous avons le même âge. Lui a grandi sous les bombes. Moi à Paris. Il s'appelle Mazen. Mon cousin de l'autre continent. On se serre la main comme des hommes et je comprend qu'il sera bien plus que ça. Il deviendra mon frère d'Irak. Chemins parallèles mais si différents.

Dehors, je pose le pied dans une Bagdad illuminée par les éclairages publics. A ma grande surprise, la route de l'aéroport est propre et elle brille. Cette même route sera surnommée quinze années plus tard « la route de la mort ». 
Il fait nuit lorsque nous pénétrons dans le quartier Al-Mansour, chez ma tante. La tradition veut que nous allions d'abord chez la plus âgée. Sur la route, nous nous arrêtons près d'un glacier. Encore une surprise, je déguste une des meilleures glaces italiennes de toute ma vie. Parfum abricot. 
Cela fait à peine quelques minutes et ce pays, je l'adopte déjà. Mes appréhensions d'enfants se dissipent. Je ne ressens pas la dictature. Tout semble normal et l'Irak ne manque de rien. Seule mise en garde de mes proches : « ne prononce pas le nom de Saddam dans la rue ! ». J'ai aussitôt fait le contraire. Ma cousine Taghreed a posé sa main sur ma bouche et m'a jeté dans la voiture. 
J'étais trop jeune pour comprendre que je les mettais en danger. La voix du peuple s'arrêtait là où l'on criait le nom du raïs.