mardi 14 septembre 2010

Bagdad by night

La fenêtre de ma chambre au Hamra
Je me suis baladé après le coucher de soleil et les 43° à l'ombre, aujourd'hui. Pas très loin, il y a le restaurant "Ali Al-Lami", du nom du propriétaire. Un jardin, quelques tables en plastiques et un des meilleurs méchouis du coin. J'ai retrouvé Mohamed, un cousin de Falluja. Je ne dirai pas où il travaille mais ça va mieux pour lui aujourd'hui. Après avoir passé des mois en Syrie au moment des pires tensions religieuses en 2006 et 2007, il est rentré sans un sou. Désormais, il a un bon salaire et même un projet, assez commun ici : partir. Aux Etats - Unis.
Les narguilés autour de nous dégagent des odeurs mentholées et fruitées, la musique libanaise tourne, un semblant de vie nocturne assez banal s'il n'y avait ces hélicoptères juste au-dessus de nos têtes. Ils sont moins nombreux mais toujours oppressant, rappelant que le pays est toujours sous occupation, et pas près de retrouver une stabilité politique...Le prochain gouvernement est loin d'être formé.
Sur le retour, je me suis rappelé cette année 1995 à Bagdad durant l'embargo. C'était l'une des années les plus dures. Celle où le dinar irakien est tombé encore plus bas, celle où manger du pain blanc était devenu un luxe, celle où même l'importation de crayons à papier était interdite (pour ne pas créer d'armes chimiques, allez comprendre...). Je me suis donc rappelé ce mois de juillet 1995 dans le quartier d'Al-Mansour, chez ma tante Soumaya. Nous mangions un poulet rôti, un luxe devenu rare, lorsqu'un chat famélique s'est posté à mes pieds me suppliant du regard. Venant de France, adolescent, j'avais craqué et lui avais donné ma cuisse de poulet. Stupéfaction autour de moi. Inconscient, j'avais commis une grave erreur. Donner une cuisse de poulet à un chat alors que le peuple irakien n'avait pas de quoi manger. Un professeur d'université gagnait 3000 dinars, soit deux dollars à cause de la dévaluation...à peine de quoi acheter de la farine. Aux heures de gloire de l'Irak, un dinar irakien valait plus de 3 dollars.
Après avoir encaissé les remontrances de ma cousine Raghad, et récupérer ma cuisse de poulet (entamée), j'avais compris que le destin me ramènerait en Irak. Et je ne le regrette pas. 15 ans après, je pense que cet évènement m'a, en partie, amené à faire ce métier de journaliste... et à me taire lorsque j'ai envie de me plaindre.

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